La Guerre. partie 1

28/05/2018

"Moi, mon colon, cell' que j'préfère,
C'est la guerr' de quatorz'-dix-huit!"
G.Brassens



Que pouvons-nous dire de la paix ? En tant qu'être humain parmi cette foule de tous ces nous-mêmes ? Avons-nous quelque chose à dire de la paix nous qui, pour beaucoup, n'avons jamais connu la guerre ? 

Mais cela est-il seulement vrai, ne connaissons-nous pas la guerre ?

Où commence la guerre, où s'arrête la guerre?

Dans le temps et dans l'espace, où s'arrête la guerre ? La guerre est-elle un objet temporel, circonscrit entre deux dates ? Notre histoire, notre imaginaire, notre identité, notre langage, notre éducation, la guerre en est-elle absente « en temps de paix » ?

La guerre ici s'arrête-t-elle, si la guerre là-bas continue ?

Pouvons-nous donc parler de la paix sans observer la guerre ? La paix existe-t-elle sans que la guerre cesse ?
De quoi sont faites nos guerres, de quoi sont-elles le résultat, le savons-nous ?
Pouvons-nous répondre à cette question et nous la posons-nous seulement ? Pouvons-nous y répondre non pas en tant que spécialiste, en tant que détenteur d'un savoir, mais en tant que nous-mêmes, membres de l'espèce ? Posons-nous la question, de quoi sont faites toutes nos guerres ?

Pour répondre à cette question, allons-nous éternellement invoquer le passé ? Allons-nous encore accuser l'autre ? Doit-on, pour voir la totalité de cette chose aussi absurde qu'abjecte qu'est la guerre, jongler avec les milliers de noms de siècles, d'ères, de civilisations, de nations, de partis politiques, de massacres, de représailles, de groupes religieux, de mouvements économiques, de rois, ou de régimes ? Doit-on chercher des grandes causes et des grandes fautes, des origines coupables, de grands méchants, là-bas, au-delà des murs ?

Les guerres parcourent l'Histoire de notre race depuis si longtemps, comment allons-nous nous y prendre pour que la guerre cesse ?

Il ne s'agit pas de balayer cela, car écarter l'idée de la cessation totale et définitive de la guerre, n'est-ce pas ce que nous faisons tous les jours ?
Qu'est-ce que notre génération choisit-elle de faire de la guerre aujourd'hui, choisit-elle de ne rien voir comme toutes les autres générations avant elle ?
Allons-nous continuer à dilapider nos esprits à historiser, archiver, chroniquer, témoigner, psychanalyser, justifier, condamner la guerre, ou allons-nous y mettre fin absolument, définitivement, immédiatement ?

Posons-nous la question maintenant, toutes affaires cessantes. Y a-t-il d'autres sujets à l'ordre du jour que celui-ci, y a-t-il sujet plus global et plus intime que cette somme de toutes nos pensées mortes qu'est la guerre ?
Allons-nous remonter toute la chaîne des aïeux et trouver la première insulte ? Y aura-t-il, un jour, le mort de trop ? Allons-nous continuer à flatter notre ego en poussant de grands cris d'indignation devant les plus sordides horreurs ou allons-nous y mettre fin, au risque de ne plus pouvoir nourrir cette idée immaculée de nous-mêmes, indignés par ces atrocités ?

Chacun d'entre nous sans la moindre exception est concerné au plus profond de lui-même par ce problème de notre espèce.
Notre temps a ceci de différent qu'il n'est plus possible d'ignorer l'impact élémentaire de nos vies sur la fabrication de la guerre, où qu'elle éclate. Il n'est plus possible de croire en notre impuissance, qui que nous soyons.
Ouvrons nos cœurs à cela, non par accord de l'intellect, non pas après avoir peser le pour et le contre, ouvrons nos cœurs à cette évidence qui dissout les opinions dans la communion du destin commun.

Si nous voulons véritablement mettre fin à la guerre, non pas fin à une guerre, mais faire définitivement sortir la guerre de l'expérience humaine, nous devons comprendre ce qu'est la guerre. Il ne s'agit pas ici de connaître les causes d'une ou plusieurs des innombrables guerres vissées au corps de notre sinistre passé. Nous voulons que la guerre cesse. Ainsi nous faut-il enquêter sur le processus de toutes les guerres.
Cette enquête n'est réalisable que par l'attention soutenue de l'observation de ce qui Est : nous cherchons à voir entièrement et crûment le processus menant à toutes ces insondables souffrances que notre espèce s'inflige à elle-même.
Ce travail d'observation doit s'employer à ne ménager aucune certitude, à n'épargner aucun tenu pour acquis, elle doit porter le faisceau de son attention sur toutes les ombres complaisantes où se déploie le « mycelium » de la guerre.
Prenons garde, durant cette investigation, à ne porter aucun jugement sur ce qui sera observé. Car le jugement est un obstacle à la limpidité de l'observation. Juger, en bien comme en mal, c'est fractionner, fractionner c'est perdre le fil et perdant le fil, l'entièreté de l'observation, absolument nécessaire à la cessation totale de la guerre, nous échappera encore.

Nous sommes pleins de certitudes, d'opinions, de principes et de phrases dont nous ne sommes même pas les auteurs. Ainsi, sans que nous en ayons conscience, notre observation du monde est fractionnée, grossière, partisane et extrêmement limitée.
Nous nous caressons le ventre, enorgueillis de nos prétendues philosophies, de nos sciences dogmatiques, de nos arts nombrilistes, de nos fois aveugles, de nos spiritualités dédaigneuses, de nos traditions tyranniques, de nos gastronomies morbides, de nos cultures oppressives, de nos valeurs hypocrites et de nos éducations corruptrices. Pourtant la seule existence de la guerre révèle la méprisable frivolité de ces aspirations.

Pourrons-nous donc supporter cette recherche et la mener jusqu'à son terme ? Quelle médaille sur la poitrine de notre orgueil ne devrons-nous pas jeter à terre afin de découvrir la totalité du processus menant à la guerre ?

La guerre est-elle l'affaire de quelqu'un d'autre que nous-mêmes, ne nous concerne-t-elle pas nous, vous, eux, toi, moi, chacun précisément ? Il n'y a pas d'autres lieux où la guerre apparaît qu'en nous-mêmes, ceci est incontestable. La guerre prend racine en nous. Elle ne croît ni dans les blessures du passé, ni dans la peur du futur, la guerre est ici et maintenant. Qu'elle éclate sur les pavés de nos rues ou qu'elle couve dans les noms que nous donnons à nos avenues, la guerre est présente partout.

Quel est notre but ici ? Nous voulons que la guerre cesse. Force est de constater que les questions portant sur la guerre ont toutes, sans exception, échoué à la faire disparaître. Ainsi ne nous laissons pas abuser comme nos aînés par le charme des questions et du savoir dont elles sont les ambassadrices.
Aussi la question de la guerre n'a reçu de réponse qu'elle-même. Ne nous égarons pas à la recherche de son origine historique, sa cause politique, économique, religieuse ou idéologique, de tous ces objets extérieurs à nous-mêmes avec lesquels nous établissons une relation de guerre.

La guerre n'est ni un objet, ni un sujet. Ni un objet d'étude, ni un sujet d'histoire. La guerre est une relation. Elle est une relation qui s'établit entre nous-mêmes et un objet. La guerre est le degré le plus absolu de l'illusion. Nous établissons une relation de guerre avec un objet au sujet duquel nous nous sommes le plus illusionnés.
Pouvons-nous accorder à cela une écoute sans l'entrave de l'opinion ?

Nous avons maintenant établi une relation de guerre avec la totalité du monde. Comment ne pas le voir ? Qu'il soit culturellement positif d'établir une relation de guerre contre la pauvreté, la famine, la maladie, l'isolement, le terrorisme, les inégalités, la misère ou culturellement négatif d'établir une relation de guerre contre la nature, la santé, la vie dans son ensemble ou contre d'autres êtres humains, aucune de ces guerres ne cessent. La guerre ne peut cesser par la continuation d'elle-même, c'est l'évidence même.

Lorsque la relation de guerre s'établit avec un objet, nous ne changeons pas l'objet mais notre regard sur lui. Le regard par le prisme de la guerre est le plus trompeur des regards car il est fondé sur l'illusion de l'antagonisme. Cet antagonisme total oppose ainsi le sujet, nous-mêmes et l'objet de la relation. La relation de guerre sème en nos esprits l'illusion que ce contre quoi nous croyons lutter est extérieur à nous-mêmes, d'une nature différente de ce que nous sommes, d'une origine étrangère.

La guerre est le fractionnement lui-même entre sujet et objet.

Penser que la famine, l'injustice, l'intolérance, la pauvreté, la cruauté, le sadisme, le terrorisme, le mépris ou l'indifférence sont séparés de nous-mêmes est une grande preuve d'aveuglement.
Mettre fin à la guerre nécessite donc d'observer avec la plus sagace vigilance nos mouvements intérieurs. Ainsi la guerre ne cessera-t-elle par aucun traité de paix, aucune ultime victoire, aucune menace de représailles. La relation de guerre doit être démasquée dans la moindre de nos pensées, de nos goûts, de nos œuvres d'art ou nos objets de culture, la relation de guerre doit être observée dans nos gestes auprès de nos enfants, dans nos regards portés sur l'autre, elle n'existe pas ailleurs que là.
Par-delà quelles illusions notre attention doit-elle se porter afin de déciller nos yeux de l'illusion de la guerre ? Pouvons-nous pousser plus loin notre recherche et nous ouvrir à l'observation de l'illusion première de la relation de guerre ?

Cette illusion première est la confusion entre le mot et la chose décrite. Le mot est hors la vie. Le mot n'est pas une chose vivante, au contraire, le mot est figé, borné, sans mouvement. Le mot est un morceau de passé utilisé pour recouvrir le présent. Le mot est une tentative de maîtriser le présent en l'enchainant au passé. Ainsi le mot, chaque mot recèle en lui-même un conflit entre ce qui n'est pas et ce qui est.
Or, nous sommes fascinés par le mot. La plupart de l'activité humaine est par-dessus tout une ode au mot, à ce qui est nommé : les sciences, les religions, les philosophies, l'art... ne sont-ce pas là que de grands sacs de mots ?
Ce qui Est est l'irréductible, l'in-fini et l'impermanent, quand le mot est la borne, la hiérarchie et l'arrêt. Ainsi nous laissons-nous envahir par les séparations, les fractionnements, les règles et l'opposition, abusés que nous sommes par le mot se confondant dans nos esprits avec la chose.
Alors notre esprit se brouille et cet extraordinaire sentiment commun à tous du « je suis moi », nous le recouvrons de centaines et de centaines de mots. Ce qui est, c'est-à-dire « moi », est recouvert par un prénom, puis un sexe, puis un nom de famille, une nationalité, une obédience, un parti, une école de pensée, un métier, une fonction, un statut social, etc...

Pouvons-nous voir cela ? La guerre est le triomphe des mots sur les choses. La victoire du passé sur ce qui est, de l'immobile sur le mouvement.
Ainsi après tant de siècles de questions sur la guerre, pouvons-nous cesser de nous interroger pour produire d'autres mots et devenir nous-mêmes la réponse ?

Bonne journée à toutes et à tous ! 

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